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Caissiers de supermarché, ni confinés, ni protégés

Les caissiers ont continué à travailler au service des clients, malgré le confinement. Photo : John Wisniewski, New York / Flickr

Ils sont caissiers, salariés de différents supermarchés partout en France. Ils ont travaillé sans s’arrêter pendant ces sept dernières semaines pour permettre aux Français confinés de continuer à s’approvisionner. Christophe*, Sarah*, Marie* et Julien* racontent cette période difficile, les lenteurs de la mise en place des protections et le comportement des clients. 

Ils racontent tous la même histoire, depuis l’Alsace, la Seine-Saint-Denis ou encore les Pyrénées-Atlantiques. À Auchan, Carrefour et Lidl, les trois premières semaines du confinement ont été un enfer. Julien explique : « Au Carrefour de Stains, à part le Plexiglas devant les caisses, on n’avait rien. » Face à l’absence de réaction de sa hiérarchie, le jeune homme finit par se mettre en arrêt. Il vit avec sa mère, immuno-dépressive, particulièrement vulnérable au COVID-19. « Je ne voulais pas risquer de la contaminer. J’ai touché 50% de mon salaire pendant les deux semaines de mon arrêt maladie et posé une semaine de congés payés. » Comme lui, de nombreux salariés de supermarché ont choisi de se faire arrêter pour se protéger.  Julien a pu reprendre le travail à la mi-avril seulement, lorsque masques et gants sont enfin arrivés en stock suffisant. Même situation à Strasbourg, où Christophe travaille dans un Auchan du centre-ville. « Au début c’était “le système-D” complet. La moitié du personnel n’avait pas de protection, on a mis des nappes en tissu pour protéger les caisses. » Comme à Stains, les protections sont finalement arrivées au compte-goutte. Cela fait maintenant deux semaines que les deux hommes estiment être « protégés correctement » et vont travailler sans angoisse. 

Un masque jetable pour 3 jours en moyenne 

Mais tous les supermarchés ne sont pas équipés de la même façon. Sarah et Marie, salariées de Lidl dans les Pyrénées-Atlantiques, n’ont toujours pas assez de masques à leur disposition. « On nous a distribué une enveloppe de 5 masques jetables, pour trois semaines », explique Sarah, au Pays-Basque. Ce qui revient à changer de masque tous les 3 jours, alors que selon les préconisations du gouvernement, ces masques de type FFP2 ne sont efficaces que durant 4 heures. Pour Sarah, ces mesures inutiles poursuivent un autre but : « Les masques, c’est pour l’image. Faire en sorte de dire : « Regardez, LIDL protège ses salariés. ». Des masques pour rassurer les clients, donc, alors que les employés restent exposés au virus. Pour compléter ce maigre stock, 10 masques lavables, à l’efficacité moindre, ont été partagés entre les hôtesses de caisse, les plus proches des clients.

Des visières de protection en plastique réutilisables ont également été distribuées à l’équipe. Mais elles se révèlent complètement inadaptées à un travail en public. « Dès qu’on parle, on fait de la buée, c’est intenable »,  explique Sarah. Leur port n’est pas obligatoire et la plupart des salariés y ont donc renoncé. 

Marie, dans les Hautes Pyrénées, a dû quant à elle menacer de faire jouer le droit de retrait de toute son équipe pour être dotée de gants en nombre suffisant. « Ma responsable a mis longtemps à réaliser le risque qu’on encourait », estime-t-elle. La salariée a dû également batailler pour limiter le nombre de clients autorisés à entrer dans le magasin. « J’ai dû fermer moi-même le magasin et filtrer la clientèle. Mon fils était suspecté de Covid-19, j’avais peur.» Devant la cohésion de l’équipe, qui fait bloc derrière elle, la direction consent finalement à un effort. Un vigile est embauché. Mais il ne reste que deux jours. « Après, il est parti », soupire Marie. Une situation identique dans le magasin Lidl où travaille Sarah. « On a un videur, mais un jour, il a arrêté de filtrer, sans explication. Les magasins de la région continuent de le faire, mais pas nous. » Devant cette absence de protection, les salariés se sentent donc en danger, mais ils sont toujours en poste.

Confinés au supermarchés, les caissiers ne se sentent pas toujours protégés. Marco_Pomella / Pixabay

«J’allais travailler avec la boule au ventre» 

« J’ai choisi de continuer à travailler, parce que c’était utile », poursuit Marie, combative. Mais « j’allais travailler avec la boule au ventre, il m’est arrivé de pleurer sur le chemin ». En plus de l’angoisse de la contamination, les hôtes de caisses doivent également gérer le comportement parfois détestable de la clientèle. « Ils ne respectent rien, déplore Christophe. Au départ, je leur rappelais les règles de distanciation, mais certains haussaient le ton, s’énervaient… J’en ai marre » Le jeune homme préfère maintenant laisser faire les clients plutôt que risquer des insultes, quitte à être moins protégé.

Ces salariés sont particulièrement exposés car sitôt le confinement annoncé, les Français se sont rués dans les supermarchés. La consommation a en effet augmenté de 30% en mars par rapport à l’an dernier selon les chiffres de la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD). Un mois après, l’affluence est toujours très forte. « Les gens sont collés entre eux. J’en vois qui reviennent tous les jours. Ils ne se rendent pas compte qu’ils nous mettent en danger », explique Sarah. Une situation généralisée, au point que Jacques Creyssel, le président de la FCD, s’est fendu d’un rappel à l’ordre sur LCI.  « Cela ne sert à rien de faire du bruit le soir à 20 heures si en même temps, on ne respecte pas les règles pendant la journée », a-t-il déclaré. 

La situation est particulièrement difficile à gérer pour les caissiers, qui doivent rappeler les règles élémentaires de sécurité à des clients parfois mal lunés. « Lorsque j’ose leur dire de faire attention, certains répondent que je suis applaudie chaque soir et que ça devrait me suffire », explique Sarah. Lidl sponsorise en effet le programme #20H on applaudit diffusé par BFM TV. Son spot publicitaire encourage à applaudir les caissiers en même temps que les soignants. 


Depuis le 25 avril, Lidl sponsorise la rubrique #20H on applaudit sur BFM TV. D’après la chaine, « l’ensemble des recettes générées par ce partenariat seront reversées à la Fondation des hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France ». Capture d’écran

Des équipes en état d’épuisement 

Résultat : les salariés sont nombreux à ne plus parvenir à assurer leur travail. « Dans certains magasins, le taux d’arrêt est monté jusqu’à 30 ou 40% des salariés », affirme Sylvie Vachoux, la secrétaire fédérale « Grande Distribution » de la CGT. Un absentéisme que les équipes ont dû compenser, tout en assurant des tâches supplémentaires.  « Deux personnes de mon équipe se sont mises en arrêt maladie. Il faut pallier leur absence. L’affluence est extraordinaire, les journées sont intenses », explique Christophe, épuisé. Et si dans le magasin où il travaille, une femme de ménage intérimaire a été embauchée, ce n’est pas le cas partout. Dans les supermarchés de Marie et Sarah, c’est aux employés de se charger de la désinfection du magasin.

« Nous sommes chargées de nettoyer toutes les trois heures. Cela s’est ajouté à nos tâches », explique Sarah. Une mission parfois difficile à assurer, puisqu’il ralentit les passages en caisse. « J’essaie de le faire à chaque client, mais beaucoup de mes collègues ne le font pas », soupire-t-elle. Difficile en effet de mettre en place de tels gestes, pourtant capitaux, lorsqu’on est confronté à une clientèle pressée et stressée. Mais certains clients font tout de même des efforts. «On nous dit merci, c’est comme si les gens avaient pris conscience que nous étions importants», confie Christophe.

Une prime de 50 à 1.000 euros, pour la fin août? 

Une reconnaissance tardive, mais bonne à prendre. Tout comme les primes de risques annoncées par la plupart des grandes enseignes. Poussés par le gouvernement à faire un geste, les leaders de la grande distribution, Auchan en tête, ont en effet promis de récompenser financièrement les employés ayant travaillé pendant le confinement. «Le PDG a annoncé qu’on aurait une prime, mais pour le moment on ne l’a pas encore touchée », explique Christophe. Une décision critiquée par la CGT, pour qui « agiter la prime de 1.000 euros pour encourager les salariés à travailler, qui plus est dans des conditions dangereuses, relève du mépris le plus total pour la vie humaine ».

La majorité des caissiers gagne entre 1.250€ et 1.500€ par mois. 
Source : Infographie Dares sur enquête INSEE.

Les modalités, encore floues, diffèrent selon les enseignes : 600€ chez Lidl, pour compléter une « prime Macron » de 400€ touchée en février, 1.000€ pour tous « d’ici fin août » chez Carrefour, et un calcul au prorata des heures effectuées chez Auchan. Un calcul injuste selon Christophe : « Si les salariés aux 35 h toucheront 1.000 euros, les temps partiels, en majorité étudiants, pourraient ne toucher que 50 euros… Ils sont pourtant exposés comme les autres. » La mesure est critiquée sur les réseaux sociaux par plusieurs organisations syndicales.

Pour Sylvie Vachoux, cette prime constitue surtout un « effet d’annonce ». « Beaucoup de gens en ont été exclus. Les salariés qui travaillent de nuit ne la toucheront pas, par exemple. » La prime reste cependant bienvenue pour des caissiers dont les salaires dépassent rarement le Smic horaire.  En l’attendant, chacun continue à travailler à son poste. Le 11 mai ne bouleversera pas les quotidiens : « Nous, on a toujours été ouverts. Ça ne changera pas grand-chose »,  explique Sarah. La CGT a recensé au moins 9 décès dus au Covid-19 parmi les salariés de la grande distribution. Mais il faudra attendre plusieurs mois pour avoir le décompte complet. 

*Les prénoms ont été changés.

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