L’épidémie du Covid-19 agit comme un révélateur des inégalités. Les conséquences économiques de la crise sanitaire se font déjà ressentir pour de nombreuses personnes en situation de précarité. Sans-papiers, sans-abris, familles nombreuses ou étudiants, ils sont nombreux à faire appel à l’aide alimentaire pour se nourrir. Un véritable maillage solidaire s’érige alors partout en France pour venir en aide aux plus démunis.
« Au début, on distribuait environ 500 paniers alimentaires. La semaine dernière, c’était plus de 900 », rapporte Mehdi Bigaderne, membre fondateur du collectif ACLEFEU, à Clichy-sous-Bois. La précarité alimentaire s’est considérablement accrue avec le confinement. Les associations se mobilisent pour aider les plus précaires. Et elles sont débordées. Le nombre de personnes dans le besoin ne cesse d’augmenter.
De nouveaux profils, inconnus des associations
Il y a les visages habitués des organisations d’entraide (migrants, sans-abris) mais des personnes jusque-là inconnues des associations se manifestent également. En particulier à cause de la fermeture des cantines à 80 centimes du fait du confinement. Corinne Bord, conseillère régionale d’Ile-de-France, déplore cette situation : « Les dispositifs de restauration collective, comme les cantines scolaires ou professionnelles, sont suspendues et cela surcharge le budget familial. Et quand ce budget n’est déjà pas large, ça devient beaucoup plus dur. »
Les parents doivent alors bousculer leur organisation et prévoir des repas pour toute la famille. « Le marché le moins cher de France est à Clichy, mais il a fermé. Et les grandes surfaces augmentent leurs prix », remarque Mehdi Bigaderne. Difficile pour ces familles d’affronter cette flambée des prix. « Le gouvernement a prévu des aides, mais ce n’est pas effectif tout de suite. Nous, on propose de l’aide alimentaire immédiate », explique le bénévole d’ACLEFEU.

Certains étudiants subissent eux aussi les effets du confinement. Léo étudie à l’Université de Lille et a choisi de rester dans son logement CROUS pour ne pas risquer de contaminer sa famille. « Je donnais des cours de maths pour arrondir les fins de mois. Avec le coronavirus, j’ai dû arrêter. J’avais aussi pris l’habitude de rentrer chez mes parents trois fois par mois, et j’en profitais pour faire des provisions. Ce n’est plus possible. Ça devient vraiment dur. Je mange des pâtes quasiment à tous les repas », relate l’étudiant en licence d’histoire.
Un rebond solidaire
Face à cette situation inédite, de nouveaux élans de solidarités émergent. « D’habitude, les bénévoles sont plutôt des retraités. Mais là, avec le coronavirus, ils restent confinés », déclare Corinne Bord. Des associations de jeunes prennent le relais sur des associations plus institutionnelles, comme les Restaurants du cœur ou le Secours populaire.
C’est le cas de Têtes Grêlées. Ce collectif citoyen propose d’habitude des séances sportives aux habitants de Pantin (Seine-Saint-Denis). Depuis le début du confinement, ses bénévoles se chargent d’apporter des colis alimentaires aux personnes dans le besoin. « On a vite été contactés par des assistantes sociales de Pantin. On fait des distributions trois fois par semaine », explique Nina Crosnier, éducatrice de quartier et bénévole de Têtes Grêlées.

Têtes Grêlées
A Dijon, l’association Sos refoulement a elle aussi modifié son activité. L’aide juridique et administrative auprès de la population sans papiers s’est transformée en récoltes et distributions alimentaires. Emma, 24 ans, membre de l’association explique que « c’est pour une population qui vit du travail au « black » et se retrouve donc sans ressources ». En collaboration avec l’espace autogéré des Tanneries et la Zad des Lentillères, l’association se charge de récupérer des denrées alimentaires auprès, notamment, des agriculteurs locaux et organise des maraudes pour la distribution.
Là aussi, le profil des bénéficiaires a changé. En plus des sans-papiers et des sans-abris de la ville, de nombreuses familles ont sollicité l’association. « On aide tous ceux qui prennent contact avec nous, sans discrimination », abonde Emma. Les finances tiennent pour l’instant grâce à des dons, dont un de 5.000€ émanant d’une abbaye locale. Mais la jeune bénévole ne se leurre pas : « Tant qu’on a des subventions, on tiendra, mais sans argent, on devra revenir à nos activités habituelles. »
«Pallier la faillite de l’Etat»
Le gouvernement a annoncé, le 23 avril, un plan d’urgence doté de 39 millions d’euros destiné à soutenir les associations et les territoires en difficulté. Une réaction jugée insuffisante par de nombreux acteurs, à l’instar de Pierre Laporte, vice-président de la Seine-Saint-Denis, délégué à la solidarité.
En parallèle des associations établies, des collectifs citoyens moins institutionnalisés mais plus politisés se mettent en ordre de bataille. Les brigades de Solidarité Populaire ont été créées en France il y a trois semaines en s’inspirant de collectifs italiens. Constituées de militants de diverses mouvances, elles viennent en aide aux populations les plus fragiles et dénoncent l’incurie de l’Etat. Présentes à Lyon, Lille ou encore en Île-de-France, où près de 20 collectifs mobilisent plus de 500 personnes, elles organisent récoltes de dons alimentaires, maraudes, livraisons à domicile, distribution de gants et de masques pour les travailleurs ou encore distribution de kits d’hygiène.
Jeanne*, 26 ans, doctorante en sociologie dans une université parisienne, fait partie de la brigade du 19e arrondissement de Paris. Elle remarque « une importante mobilisation des particuliers qui font des dons de matières premières » pour permettre aux brigades de cuisiner des plats et de les distribuer. Quelques commerçants se mobilisent également. « Un restaurant libanais nous a par exemple fait don de plus de 100 repas complets. » La jeune militante dresse un constat accablant : « Les centres d’aide alimentaire sont débordés, les foyers de travailleurs et les hôtels sociaux pleins. Nous, on s’organise face à la faillite de l’Etat. »
«Ça va être compliqué pendant plusieurs mois»
Cette solidarité crée des liens entre les habitants des quartiers. « Les gens portent de nouveaux regards sur les autres, moins stéréotypés. Certains n’ont plus forcément peur des jeunes. Des dynamiques émergent et s’organisent. Mais est-ce que ça va résister à la reprise ? », se demande Corinne Bord.
Questionnée sur la sortie de crise, la conseillère régionale n’a pas souhaité se prononcer. « Je ne connais pas l’avenir, a-t-elle rétorqué, avant d’ajouter : En tout cas, il faut que l’Etat soutienne les associations et leur donne les moyens de continuer ce qu’elles font. » Nina Crosnier est certaine que la fin de la crise ne se fera pas le 11 mai, avec le déconfinement. « Les personnes dans le besoin vont le rester. Celles qui bossent dans l’intérim ne vont pas reprendre tout de suite. Ça va être compliqué pendant plusieurs mois », soupire-t-elle.
* Les prénoms ont été modifiés
Mathieu Barrere et Marion Pépin