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Les personnes dépendantes à l’alcool au risque du confinement

« Certains patients voient le confinement comme une occasion d’arrêter, mais ils peuvent faire des crises de sevrages violentes », constate Christine Latimier, addictologue. Vinotecarium

Forte augmentation de leur consommation, sevrage brutal… La période de confinement cristallise un certain nombre de risques liés à la dépendance à l’alcool. Conséquences : des faits de violence nécessitant parfois une hospitalisation.

« Habituellement, je bois beaucoup et depuis le confinement, je bois énormément », résume Thomas*, 31 ans, travaillant habituellement dans la restauration et désormais privé de son activité. Alexandre*, étudiant en prépa littéraire, note également une augmentation de sa consommation d’alcool: « Avant, je buvais deux à trois fois par semaine, mais maintenant je consomme tous les jours. » Jonathan*, 24 ans, admet avoir une consommation « excessive » depuis plusieurs années et estime qu’elle a grimpé depuis le début du confinement: « Je buvais en moyenne 5 litres de bières fortes par jour ainsi que du rosé au repas, et ce confinement m’a fait augmenter les doses »

Selon un sondage Odoxa, seuls 15% des Français consomment davantage d’alcool depuis le début du confinement. Mais l’étude note que les consommations dites « à risques » peuvent concerner 80% des consommateurs. Pour beaucoup de personnes dépendantes, cette augmentation de la consommation avec le confinement est une réalité. 

La plupart évoquent plusieurs raisons à cela, comme le stress et l’anxiété pour Aaron*, 27 ans: « Je travaille en boucherie 6 jours sur 7 et avec la pandémie, tout le monde est sous tension. Boire m’aide à décompresser. » D’autres mettent cela sur le compte de « l’ennui » et de l’absence d’activité professionnelle ou sociale. « Le fait d’aller à ma formation et même d’avoir une vie sociale m’empêchait de rester chez moi à boire », raconte Jonathan*.

Une forme d’auto-thérapie 

Le docteur Christine Latimier, addictologue au centre « Douar Nevez » à Lorient (56), constate également un attrait plus important pour la boisson chez certaines personnes qu’elle reçoit en consultation. « Avec le confinement, nos patients peuvent être très anxieux, très tristes ou très excités. Dans ce contexte, l’alcool est une forme d’auto-thérapie et pas seulement pour les personnes dépendantes. »

De plus, dans ce contexte de distanciation sociale, l’alcool est également utilisé comme un moyen de « rapprochement social » via les « apéros-skype ». Cette nouvelle forme de consommation peut également expliquer l’usage accru de certains individus.

Christine Latimier constate des conséquences graves pour des patients : des faits de violence, des gestes « auto-agressifs » (tentatives de suicide) et même des crises de manque brutales nécessitant hospitalisation. « Certains patients voient le confinement comme une occasion d’arrêter, mais ils peuvent faire des crises de sevrages violentes », explique-t-elle. C’est pourquoi les addictologues restent très attentifs aux situations de leurs patients. Les consultations se poursuivent via téléphone et visioconférence. Ils sont également en contact avec des équipes de liaison basées à l’hôpital. « La continuité des soins est essentielle», insiste le docteur Christine Latimier.

Alcool Info Service fournit des videos de prévention et dispose également d’une ligne d’écoute.

Des restrictions «inadéquates»

Les restrictions de la vente d’alcool, en vigueur dans certains départements, ne sont pas vues d’un bon oeil par la plupart des spécialistes. Par exemple, dans le Morbihan (56), la vente d’alcools forts a été suspendue le 17 avril ; seuls le vin et la bière étaient encore disponibles. La mesure a finalement été levée le mercredi 29 avril 2020.

Pour le docteur Latimier, cette mesure était importante symboliquement mais elle ne semblait « pas en adéquation avec ce qu’on connaît de l’addiction ». Elle craint que ces décisions ne conduisent à des crises de manque et à des « déséquilibres » de l’addiction, lorsque le patient va se consommer un autre alcool qu’il connaît moins bien. 

Le collectif « Modus Bibendi », un collectif militant, travaillant à la réduction des risques liés à la consommation d’alcool, a écrit une lettre ouverte au préfet du Morbihan pour dénoncer les restrictions.

Matthieu Fieulaine, membre du collectif, voit cette mesure comme une forme de prohibition, qui peut avoir des conséquences graves. « Le manque d’alcool est une douleur insupportable, il faut la combattre le plus possible », rappelle-t-il. « Pour les personnes dépendantes, l’alcool est un besoin premier auquel il faut leur donner accès

Le plus important pour les personnes souffrant d’adicction reste d’être soutenus par des professionnels et par leur entourage. Différents services comme Alcool Info Service ou Addict Aide ont maintenu leurs lignes d’écoute durant le confinement pour accompagner ceux dans le besoin.

* Les prénoms ont été modifiés

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