Le Conseil français du culte musulman (CFCM) appelle les 5 à 9 millions de fidèles à prier depuis chez eux.
Médine (Arabie Saoudite). Adliwahid / Unsplash
Depuis le 24 avril, les musulmans sont invités à jeûner. D’ordinaire synonyme de partage, de retrouvailles familiales et de spiritualité commune, la pratique du ramadan doit s’adapter au confinement.
Mosquées fermées, rassemblements religieux interdits au moins jusqu’au 2 juin, retrouvailles familiales à reporter : pour Yasser, étudiant de 22 ans confiné avec ses parents à Poitiers, le repas de rupture du jeûne après le coucher du soleil (ftour, en arabe) n’a plus la même saveur. « J’ai pour habitude de voir mes cousins, mes tantes et mes potes qui font le ramadan lors de ce repas. J’ai hâte que le confinement soit fini. Même si je pense que chacun le vit différemment. »
Hamza, lui, est administrateur de la page “Ramadan” sur Facebook, suivie par plus de 58.000 personnes. Pour cet homme de 28 ans, habitant à Casablanca au Maroc, le ftour se prend en solitaire à cause de l’épidémie. « Je travaille dans le secteur portuaire, vital pour assurer la continuité de la chaîne logistique. Pour éviter tout risque de contamination , je prends mon ftour seul dans le séjour, loin de mes enfants. » Pendant ce mois sacré, Hamza avait l’habitude de se rendre chez « la grande famille » pour se réunir autour d’un repas rempli de « joie, de fous rires et de bonne humeur ». « Le ramadan 2020 est un plat sans sel », avoue-t-il.
Le seul fait d’être confiné implique une charge psychologique supplémentaire. « Normalement, on arrive à s’occuper en faisant des activités, raconte Yasser. Là, il y a moins de possibilités. Donc je lis, je fais du sport, je dors. Je n’arrive pas à oublier le jeûne, j’y pense toute la journée. » Yasmine, étudiante en école de commerce abonde en son sens : « Normalement, c’est vraiment un mois de partage, de convivialité et de spiritualité commune. C’est plus difficile, car on n’a pas l’objectif de retrouver nos proches. »

Ce mois de jeûne change aussi les habitudes cultuelles. De coutume, les musulmans se retrouvent pour les prières du Tarawih dans les mosquées après le repas de rupture du jeûne. « Ce qui nous manque le plus ici au Maroc, c’est l’atmosphère de la prière, admet l’administrateur du groupe Facebook. D’ordinaire, tout le monde sort prier après le repas. Pour nous, c’est une sorte d’exutoire spirituel dans lequel nous pleurons nos péchés et nous implorons Dieu de nous donner la force et le calme pour bien vivre. »
Se concentrer plus sur son corps et sa foi
D’autant qu’aucune épidémie ne peut remettre en cause ce mois de jeûne et de prières selon les versets du Coran. Hocine Benkheria est directeur d’études de la section des sciences religieuses à l’Ecole pratique des Hautes Études (EPHE). « Les musulmans ont connu des épidémies et jamais ce genre de situation n’a conduit à une évolution doctrinale: l’obligation du jeûne est fondée aux yeux des fidèles sur le Coran (sourate n° 2, versets 183-185), affirme-t-il. Rien ne peut remettre en question cette obligation, pas même une épidémie. » Un ramadan morose pour certains, quand d’autres aspirent à une quête de spiritualité. « Les mosquées étant fermées, on prie à la maison. C’est vraiment l’occasion de se concentrer plus sur son corps et sa foi », exprime Yasmine.
Des alternatives sont aussi mises en place pour partager le ftour. « Tous les soirs après le repas de rupture du jeûne, on fait un appel visio avec notre famille, assure Yasser. On dirait que ça fait dix ans qu’on ne s’est pas vus. On est beaucoup dans la prévision, tout le monde parle du 11 mai et de la nourriture à partager. J’entends déjà ma mère crier : ‘Il faut que je prépare plus de makrout’ », blague-t-il. L’après 11-mai se prépare déjà.