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La tentation de l’autonomie alimentaire

Depuis le début du confinement, des Français inquiets se sont mis à planter leurs propres fruits et légumes afin d’être moins dépendants des circuits de distribution alimentaire. Célia Gueuti

La crise du coronavirus et la peur des pénuries alimentaires ont mis sur le devant de la scène la question de l’autonomie alimentaire. Face à un système agricole spécialisé et mondialisé, de multiples acteurs défendent une agriculture plus locale et diversifiée, afin d’atteindre une forme d’indépendance. Une démarche qui soulève différents enjeux.

Mélissa, 27 ans, s’est lancée dans l’opération à son échelle : de la laitue, des tomates, des courges, du maïs plantés dans des pots qui s’entassent sous ses fenêtres. Le déclic, cela a été le confinement. « J’ai fait des recherches sur la sécurité alimentaire, j’étais inquiète des risques de pénurie et des conséquences de la crise. » Elle décide de rejoindre un mouvement engagé pour l’autonomie alimentaire. La jeune femme intègre des groupes Facebook et trouve une communauté qui l’encourage et lui fournit des conseils. À terme, Mélissa veut planter ses semis dans des bacs publics, à la disposition de tous. Elle espère que d’autres personnes seront inspirées par son initiative et s’y joindront.

Elle n’est pas la seule à s’inquiéter de la dépendance alimentaire de la France depuis le début de la crise. Selon un sondage Odoxa-Comfluence publié par Les Echos le 13 avril, 93 % des Français souhaitent que le gouvernement assure l’autonomie agricole de la France. Le Président lui-même semble avoir tiré des leçons de la crise : « il nous faudra rebâtir une indépendance agricole », a-t-il avancé lors de son discours du 13 avril.

L’autonomie alimentaire, de quoi s’agit-il ?

Sur les réseaux sociaux, les messages d’internautes qui s’inquiètent des capacités d’autonomie alimentaire des grandes villes fleurissent. Mais le terme est parfois mal compris et confondu avec la notion de réserves. Anne-Cécile Brit, ingénieure en alimentation durable aux CIVAM de Bretagne, en clarifie le sens : « L’autonomie alimentaire, c’est la capacité d’un territoire à produire sa nourriture. » On ne parle pas de nourriture disponible à un moment donné dans une ville, mais de la possibilité pour ses habitants d’être nourris grâce à des produits locaux.

« C’est quoi ces salades ? »

Autonomie alimentaire : capacité d’un territoire à produire la nourriture qui y est consommée.
Réserves alimentaires : quantité de nourriture disponible à un moment et sur un territoire donnés.
Résilience alimentaire : capacité d’un système alimentaire à pouvoir se reconstituer après un choc (politique, économique, climatique…).
Souveraineté alimentaire : capacité de choix et de décision concernant toutes règles relatives à l’agriculture et à l’alimentation.

Une étude du cabinet Utopies réalisée en 2017 évalue le taux d’autonomie alimentaire des cent plus grandes villes de France à 2 % en moyenne, mais la rigueur de sa méthode ne fait pas consensus parmi les scientifiques. Le degré d’autonomie alimentaire d’un territoire est difficile à calculer, explique Anne-Cécile Brit. Il faut pour cela tracer la provenance de tous les aliments consommés sur un espace donné. « Mais les données de flux sont dispersées entre plusieurs acteurs privés, elles ne sont pas agrégées par des acteurs publics au niveau des villes. »

Une agriculture insérée dans un système mondialisé

Selon l’ADEME (Agence de la transition écologique, anciennement Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), 90 % des produits consommés en Île-de-France ont été importés. Pourtant, 49 % des territoires y sont dédiés à l’agriculture. En cause, la spécialisation de l’agriculture en France, et son insertion dans des circuits mondialisés. De nombreux territoires se sont concentrés sur la culture de quelques productions, consommées ensuite ailleurs en France ou à l’étranger. Dans ces conditions, difficile de se fournir localement. « Si on fait un marché où on ne propose que de la farine et du blé, ou bien que du lait et du fromage, ça n’intéressera pas les gens ! », plaisante Gilles Maréchal, chercheur associé au CNRS et fondateur du cabinet de conseil Terralim.

Les grandes villes n’ont-elles vraiment que de 3 jours de réserves alimentaires ? Réponse avec le fact-checking 360°C.

Le système actuel de monocultures et d’échanges mondialisés est critiqué de part et d’autres pour sa fragilité. « Lors de la crise des camionneurs en 2018 au Brésil, les supermarchés ont été vidés en deux jours », pointe Gilles Maréchal. « Tout peut s’écrouler comme un château de cartes du jour au lendemain » abonde Sabine Becker, qui a coécrit l’essai En route pour l’autonomie alimentaire avec François Rouillay. Ces deux compagnons cherchent depuis plusieurs années à alerter le public sur le risque de rupture de la chaîne d’approvisionnement. « Le système alimentaire nous a échappé, il faut en reprendre le contrôle », argue cette ancienne urbaniste.

Un retour à la terre et au local

Le 1er avril dernier, François Rouillay a lancé un appel à la mobilisation citoyenne : profiter du confinement pour faire des semis et les planter à la sortie. « C’est cette vidéo qui m’a donné la motivation de m’y mettre », confie Mélissa. Sur Facebook, ils sont déjà 8.000 internautes regroupés au sein du groupe Autonomie Alimentaire 2020 géré par François Rouillay. Cet ancien chercheur en agriculture urbaine mise sur la création de réseaux de particuliers qui s’entraident, partageant semis, terrains et récoltes. « Il faut que le mouvement vers la transition parte du bas, explique-t-il. Une seule personne motivée suffit pour qu’une ville entière bascule vers l’autonomie alimentaire. »

Dans une vidéo publiée le 1er avril 2020, François Rouillay appelle tous les Français à faire des semis durant le confinement.

Anne-Cécile Brit pointe toutefois les limites d’un raisonnement trop axé sur le local : « Pour des questions de résilience, il est important de garder des liens avec d’autres pays. D’autres crises, climatiques par exemple, comme une sécheresse, pourraient impacter toute une zone de la France. » Selon elle, on peut toutefois envisager une agriculture plus territorialisée, sans être sur une autonomie totale.

Tous ces acteurs se retrouvent sur un point : la crise du coronavirus n’a servi que de révélateur. Les dangers majeurs se trouvent ailleurs, dans le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’épuisement des sols et la dépendance énergétique. « Jusqu’à présent, on rencontrait un manque d’intérêt face à la question de l’autonomie alimentaire. Peut-être que la crise du coronavirus amènera à penser que ce n’est pas une question secondaire », espère Gilles Maréchal.

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