La rue piétonne de Ferhadija, qui délimite l‘est et l‘ouest de Sarajevo, le 26 décembre 2019. Enfilade d‘échoppes d‘artisans et de petits commerces alimentaires, touristes et Bosniens de tous âges y flânaient à la tombée du jour. Aujourd’hui, le quartier est désert. Isma Le Dantec
Une cinquantaine de Bosniens de retour de l’étranger ont été placés en quarantaine dans un lotissement étudiant à Sarajevo. Après 28 jours de rétention dans des conditions contraires au respect des libertés individuelles, ils ont entamé une grève de la faim.
La capitale de la Bosnie-Herzégovine impose à ses citoyens des mesures de confinement particulièrement strictes : une cinquantaine de Bosniens qui revenaient de pays étrangers ont été placés dans un lotissement étudiant insalubre, sans accompagnement médical ni informations, relate le Courrier des Balkans. Un mois après leur arrivée, ils n’ont toujours pas été testés pour certains, n‘ont pas reçu les résultats de leurs tests pour d‘autres… Pour protester, ils ont cessé de s’alimenter à la mi-avril, après 28 jours de confinement forcé.
Mis à l’isolement non loin de l’aéroport de la capitale, dans le quartier de Beljave, ces Bosniens revenus après le 16 mars, date du début du confinement, déplorent ne pas avoir reçu les médicaments dont ils avaient besoin pour traiter d’autres maladies, malgré les nombreuses réclamations. Enfin, ils contestent la légalité de leur rétention. Après presque un mois d’enfermement, ils ont entamé une grève de la faim et engagé un avocat. Une semaine plus tard, ils ont obtenu gain de cause et pu rejoindre leur domicile… le ventre vide. D’autres grèves de la faim dans des camps similaires tenus par l’armée ont depuis éclos dans les villes de Doboj et Maglaj.
Pour Laudine, étudiante française en Erasmus à Sarajevo et confinée en colocation dans la capitale, difficile de savoir exactement ce qu’il se passe à quelques kilomètres de chez elle dans ce lotissement : « Ici, les médias sont proches du pouvoir, on a du mal à avoir des informations fiables, des informations tout court… On sait qu’il y a des aussi des camps aux frontières mais c’est obscur. »
Des conditions de rétention contraires à la Constitution
L’horreur que dépeignent les confinés du lotissement de Sarajevo n’est pas restée dans l’ombre pour autant. Leur grève de la faim, dont aucun média local n’a fait l’écho, a été entendue par un groupe de citoyens qui se sont organisés pour faire appel auprès de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine. Elle a jugé que les conditions de détention décrites constituaient un viol de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme.
Outre la mise en quarantaine prolongée de tout individu arrivant de l’étranger, le gouvernement avait décrété l’interdiction totale de quitter leur domicile pour les personnes âgées et les mineurs, jusqu’au 21 avril. L’agence de presse Reuters confirme qu’un nouveau protocole, plus respectueux des libertés individuelles, a été depuis mis en place : les personnes âgées de plus de 65 ans sont autorisées à quitter leur domicile de 9 heures à 13 heures les lundis, mercredis et vendredis. Les personnes de moins de 18 ans seront autorisées à sortir le mardi, le jeudi et le samedi, de 14 heures à 20 heures. Il ne faudra pas pour autant cesser de respecter les mesures de distanciation sociale en vigueur. De plus, demeure l’obligation d’une quarantaine stricte, à domicile, pour tout Bosnien revenant de l’étranger. En cas de non-respect de l’auto-isolement, « les identités seront communiquées et les personnes placées en quarantaine sous tentes », peut-on lire sur le site internet de l’ambassade de France en Bosnie-Herzégovine.
Un assouplissement (relatif) qui pourrait bien ne pas durer
Bilal, ancien stagiaire de cette ambassade et étudiant lui aussi en Erasmus à Sarajevo, a préféré rejoindre son domicile familial en France pour la durée du confinement. Désormais, il craint de ne tout simplement pas pouvoir retourner en Bosnie… même pour rapatrier ses effets personnels : « Au vu de la situation locale, aussi bien sanitaire que politique, la réouverture des frontières est compromise. Là, les magasins ont ouvert leurs portes à Sarajevo, les personnes âgées ont le droit de sortir, mais on ne sait pas quelle décision le gouvernement prendra demain. C‘est très volatile et cela révèle l‘état de ce pays en terme de démocratie. Les étudiants Erasmus sont dans le flou : une très large majorité d‘entre eux a quitté la ville sur recommandation de l‘ambassade. Sans se douter que ce départ était probablement définitif. »
D’autant qu’un nouveau renforcement des mesures est à craindre : une semaine après la sortie de quarantaine stricte pour les Bosniens, le nombre de cas détectés repart à la hausse (93 nouvelles infections et deux morts le 29 avril). Au total, au 4 mai 2020, la Bosnie-Herzégovine comptait 1927 cas confirmés de Covid-19 à l’intérieur de ses frontières.