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En école de restauration, la pratique manque

Les cours pratiques en écoles d’hôtellerie ou restauration ne peuvent plus être dispensés depuis le début du confinement. Jesùs Terrés

Depuis le 16 mars, les écoles de restauration et d’hôtellerie françaises sont fermées. Certaines tentent tant bien que mal de pallier l’absence de cours pratiques, clés de l’apprentissage de leurs étudiants, quand d’autres comptent sur le retour des élèves cet été. De toute façon, il faudra rattraper un retard.

Qui aurait cru que l’outil indispensable d’une évaluation d’art culinaire puisse être… le smartphone. Depuis l’annonce du confinement en France le 16 mars 2020, il est devenu l’unique moyen pour Laurent Trontin, enseignant formateur à l’école Ferrandi de Paris, d’évaluer les compétences de ses élèves. « Quand le confinement a été annoncé, il restait deux évaluations à faire passer à mes étudiants pour pouvoir valider leur année, nous avons tout mis en place pour tenter de les maintenir », explique le chef cuisinier.

Retravailler les mêmes gestes

Avec quelques changements. Adieu plats élaborés à confectionner pendant cinq heures. Sans laboratoire de cuisine muni de ses fours et autres outils professionnels, l’école Ferrandi a décidé de revenir aux techniques culinaires de base. « On ne leur demande pas de faire des plats dignes du meilleur ouvrier de France. On les juge sur des techniques simples qu’ils ont déjà apprises », expose le formateur.

Préparation d’une pâte brisée, cuisson de champignons à blanc… Par session de trente minutes, les étudiants doivent demander à un proche de les filmer ou utiliser leur smartphone pour être évalué en direct en train de cuisiner. « Ce qu’on fait à distance, c’est du bachotage, on re-travaille les mêmes gestes. Mais en maîtrisant bien ces techniques simples, on pourra mieux assimiler par la suite les pratiques plus complexes qu’on ne peut pas apprendre à distance» , analyse Marius Cesari, étudiant en première année du bachelor de Ferrandi. 

Professeurs et élèves s’adaptent

Même avec ces solutions, pas simple, à travers un écran, d’appréhender la réussite d’un plat quand on n’a ni le goût, ni l’odeur. « C’est sûr qu’on ne peut pas goûter mais rien qu’à la vue du produit, on peut savoir s’il est réussi. Surtout, on évalue comment les élèves se positionnent, la manière dont ils portent leur couteau… », explique Laurent Trontin.

Autre nouveauté dans ces évaluations à distance : c’est aux étudiants de s’approvisionner en produits. « J’habite dans un tout petit village près de Dijon, là-bas il n’y a pas de poissonnerie et au marché, impossible de trouver un filet de merlan pour la prochaine évaluation », raconte Marius Cesari. En réalité, un filet de truite suffira pour l’exercice, l’école s’adapte.

Repousser pour mieux former

À l’établissement de cuisine et d’hôtellerie Alain Ducasse De Paris du groupe Sommet Education, on mise sur l’après. Les cours pratiques ont été entièrement annulés pendant le confinement. « On a privilégié la théorie en ligne et repoussé toute la formation pratique à cet été, en espérant pouvoir rouvrir l’école », explique Eric Wyttynck, directeur informatique du groupe Sommet Education.

En attendant, 2.000 vidéos sont disponibles sur une plateforme en ligne afin de permettre aux élèves de garder un lien visuel avec la pratique. Confection de cocktails, cours de bar, de vin, de nutrition… À un rythme de 100 vidéos par jour, le trafic est riche.

Mais le directeur informatique garde les pieds sur terre. « On ne pourra jamais remplacer la pratique avec ces vidéos, les élèves auront besoin de retourner en cours. » Ce responsable en transformations digitales trouve néanmoins dans cette période un aspect positif pour la suite. « Elle nous permet de se réinventer, de développer des techniques digitales qu’on pourra mettre en place en complément des études pratiques à l’avenir. »

Une année stigmatisante ?

D’autres voient la situation d’un œil plus pessimiste. Olivier*, responsable des formateurs dans une école d’hôtellerie à Paris craint pour la promotion de cette année. « Dans notre cas, les 4h30 d’épreuves pratiques ont totalement disparu de l’évaluation 2020. J’ai peur que nos étudiants soient stigmatisés par les recruteurs ou les autres formations par la suite», déplore-t-il.

Car il y aura des lacunes à combler. Le chef Laurent Trontin de Ferrandi ne le nie pas. « Un de mes groupes d’élèves n’a eu que trois mois de formation en présentiel car ils étaient en stage le reste de l’année. C’est compliqué pour eux car c’est un métier exigeant. » Les étudiants le savent aussi. « Pour nous former, on a besoin d’observer les professeurs, de faire le tour d’un produit… des choses qu’on ne peut pas faire avec une simple vidéo », admet Marius Cesari.

Une transmission de savoir indispensable et irremplaçable. Ce qu’il reste à faire dans cette période de flou : encourager les élèves et ne pas les lâcher à la sortie de cette crise. Laurent Trontin est enthousiaste : « On leur dit tout le temps : On a foi en eux ! On croit en eux et en leurs compétences pour la suite ! »


*Le prénom a été modifié

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