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Fin de service pour les dons de repas de chefs à l’hôpital de Bayonne

L’équipe de chefs bénévoles de Rezto en masques et en action pour livrer 100 repas dans la journée. Rezto

Après un mois de livraisons de 100 repas par jour pour l’hôpital de Bayonne, les 18 chefs bénévoles du réseau Rezto tirent leur révérence. Retour sur une expérience hors-normes.

Salade exotique au foie gras, chorizo rôti, flageolets et cheesecake aux fruits rouges. Non, il ne s’agit pas du menu d’un restaurant, mais de l’un des plateaux-repas qu’a pu déguster Magali Vergez, anesthésiste à l’hôpital de Bayonne, entre le 1er et le 30 avril. « Au début, surtout quand on travaillait la peur au ventre, c’était un signe que les gens nous remerciaient », explique la spécialiste, qui a été transférée au service de réanimation de la cellule Covid-19 au début de l’épidémie. 

Chaque soir, pendant un mois, le personnel de garde de l’hôpital de Bayonne dégustait 100 plateaux-repas réalisés par 18 chefs de la région. Ce projet a été initié par Flore Bonnard. Cette ancienne restauratrice est à la tête de la start-up Rezto, une plateforme de communication à mi-chemin entre le réseau social et le site web. La jeune femme s’est inspirée de l’initiative « Les Chefs avec les soignants », lancée par Guillaume Gomez, chef de l’Elysée.

« C’était important qu’on réponde présents »

« Nous étions trois chefs au début et très vite nous sommes passés à 10 puis 18 », explique la cheffe d’entreprise. Ces restaurateurs, sans activité depuis la fermeture administrative de leurs commerces, ont immédiatement adhéré au projet. « Ils ont l’habitude de faire passer leurs besoins après ceux des autres comme pour Noël ou le jour de l’An. C’était donc important qu’on réponde présents là encore. » L’équipe de bénévoles se rapproche alors de leurs fournisseurs habituels pour récupérer des invendus ou des dons. 

Johan Colet, gérant de  La Ferme des acacias à Urt, est l’un d’eux. Cet éleveur traditionnel de porcs a « de suite trouvé cette initiative intéressante ». Il avait l’habitude de travailler avec Jérémy Marcon, chef du restaurant Laketua à Biarritz et membre du réseau Rezto. Il a ainsi fait don de moelleux de porcs, de pâtés de campagne ou de pâtés basques. Pour lui, « c’était important de participer. Cela permettait de remercier le personnel hospitalier pour son implication. »

L’élevage de porc de Johan Colet est garanti sans OGM et nourri aux céréales cultivées à la ferme. Ferme des Accacias

Branle-bas de combat

Débute alors un travail titanesque pour le groupe de restaurateurs. « On faisait le tour des marchés pour récupérer les invendus. On devait sortir 100 repas entre 8h30 et 12h30, c’était la course et on n’avait pas l’habitude de travailler avec des masques », témoigne Jérémy Marcon.  L’équipe doit improviser au jour le jour. La cuisine de l’hôpital est rapidement devenue trop petite face à l’afflux de chefs bénévoles. Le Greta (organisme de formation de l’Education nationale) leur prête alors sa cuisine… qui connaît une fuite d’eau. C’est finalement au Centre de formation des apprentis (CFA) que le groupe élit domicile. « Heureusement, le traiteur Eizmendi nous a prêté un camion frigorifique pour effectuer les livraisons en respectant la chaîne du froid », abonde Jérémy. 

Grâce aux retours très positifs des soignants, l’équipe tient le coup. « Le lendemain des livraisons, on reçoit des petits mots papiers ou sur les réseaux sociaux. Ça fait plaisir », explique le chef biarrot. L’initiative améliore réellement le quotidien des soignants. « On se croisait tous, on était tous contents de descendre chercher notre petit repas », rapporte Magali Vergez, sur le front depuis le début. D’autant qu’habituellement, tout le monde n’a pas le droit à un repas le soir. « Seuls ceux de gardes [qui effectuent une journée et une nuit en continu, NDLR] y ont droit. » Le personnel de nuit ou d’astreinte doit apporter son propre repas et « cette différence, on la sent, c’est plus esprit d’équipe », renchérit l’anesthésiste. 

« On a eu notre lot de critiques »

Pourtant cette initiative ne fait pas l’unanimité. « On a eu notre lot de critiques, relate Flore Bonnard. On nous a reproché de ne servir que l’hôpital et un personnel qui dispose de salaires confortables. » Cette affirmation, Anne*, aide-soignante dans un Etablissement d’hébergement pour personne âgées dépendantes (Ehpad), la partage partiellement : « C’est normal que l’hôpital ait des dons, mais c’est vrai qu’on s’est sentis un peu oubliés, d’autant que notre directrice a fait des demandes de dons qui n’ont pas abouti. C’est dommage ! »

Du côté des restaurateurs, la sélection est assumée. « On a eu d’autres demandes, notamment de cliniques. Or une clinique c’est du privé : on imagine les conditions meilleures. L’hôpital est public, et on voulait aider le public », justifie Jérémy Marcon. 

A 200 kilomètres de là, la situation n’est pas aussi simple. Katy*, infirmière à la clinique Bagatelle à Bordeaux, a été transférée au service des Hospitalisations à domicile (HAD) de l’hôpital Pellegrin. Elle est exposée aux cas de Covid-19 depuis le début et n’a eu qu’un seul plateau-repas malgré les nombreux dons faits à l’hôpital. « Les repas étaient livrés le midi et moi je travaillais le soir. Le personnel des bureaux en a profité tous les jours. Certains emportaient même des plateaux pour chez eux le soir, et nous ne pouvions pas en bénéficier. »

« Cela aurait été bien que tous y aient accès »

« La distinction public/privé ne fonctionne pas, poursuit Katy. Il n’y a qu’un seul service de HAD à Bordeaux et c’est celui de Bagatelle, on traite donc les patients de l’hôpital Pellegrin, qui est public. » D’autant, que face à la vague tant attendue, l’hôpital a vidé ses lits et transféré ses patients au HAD, donc à l’équipe de Katy. Une équipe qui a également dû gérer les cas de Covid-19 jugés « non-réanimables » et donc laissés à domicile. « Ça a été très dur pour nous, on aurait apprécié un geste », souffle-t-elle. 

En plus du goût, le visuel travaillé des plats vient égayer la soirée du personnel soignant. Rezto

Un constat partagé par Magali Vergez, l’anesthésiste de Bayonne : « Je pense que ça aurait été bien que tous y aient accès. Les cliniques se sont beaucoup investies pour éviter la catastrophe de Paris et du Grand-Est, et les Ehpad ont fait un travail remarquable puisqu’il n’y a pas eu de catastrophe [sur Bayonne]. » Jérémy Marcon explique qu’il n’était de toute façon « pas possible de faire à manger pour tous les centres sanitaires ». 

L’initiative de Rezto, comme d’autres en France, s’est achevée le 30 avril. Beaucoup de restaurateurs ont effectivement lancé des services de vente à emporter pour sauver leur activité. Si Magali Vergez avoue avoir eu l’impression un instant que tout le monde les abandonnait, « on s’est rapidement dit qu’il était normal que les restaurateurs reprennent leur activité. C’est une fois la crise passée qu’il faudra qu’on soit soutenus, quand on engagera un travail de fond sur l’hôpital. »

*les prénoms ont été modifiés.

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