Sous cloche
Distribuer

Angers adopte ses maraîchers

Les Jardins d’Anjou ont élu domicile au salon de coiffure F. Rocher durant le confinement. Crédit photo Adélys Olivier

Face à l’interdiction des marchés alimentaires, les producteurs angevins ont trouvé une solution : Adopte ton maraîcher. Une initiative reprise par la ville d’Angers qui a mis en contact producteurs et commerçants. Pendant la durée du confinement, les premiers ont pu continuer à vendre leurs produits, presque comme au marché.

Désertes, les places du centre ville d’Angers l’ont été sans leurs marchés. Durant près de deux mois, les producteurs n’ont pas déballé leurs étals sur la place La Fayette. Ils étaient pourtant bien présents, vendant leurs fruits, légumes, laitages et autres produits frais dans les commerces, fermés, des rues alentour.

Le 23 mars, le Premier Ministre Edouard Philippe annonce la fermeture des marchés alimentaires. Les producteurs, qui tirent la quasi-totalité de leurs revenus de la vente directe, doivent rebondir. Stéphanie vend d’ordinaire les produits des Jardins d’Anjou sur le marché La Fayette. Elle sent la fermeture venir : « J’ai pris les coordonnés de mes clients, pour qu’on réfléchisse ensemble à une solution pour continuer. » Elle commence par vendre des paniers. « Les clients sont venus et on a pu écouler toute notre production », s’étonne-t-elle. Elle pense alors à sa coiffeuse habituelle, fermée depuis le confinement. « Elle était d’accord pour nous accueillir, raconte Stéphanie. Alors j’ai demandé l’autorisation à la ville. »

71 points de vente à Angers

Depuis, chaque mercredi pendant deux mois, Les Jardins d’Anjou ont installé leur étal devant le salon de coiffure F. Rocher, à une centaine de mètres de la place La Fayette. L’initiative a plu et la mairie d’Angers a développé le projet. « Angers, adopte ton maraîcher » proposait de mettre en relation des commerçants, aux locaux inoccupés, et des producteurs ou revendeurs en mal de marchés. Laverie, bars, cinéma, péniches… le site Web recensait 71 points de vente à travers la ville.

Les habitués patientent devant le Panier à Salade, place La Fayette à Angers, pour faire leur marché. crédit photo Adélys Olivier

Tous les mercredis, depuis fin mars, une vingtaine de personnes attendent patiemment, en file indienne, devant le Panier à Salade. Nathalie, la propriétaire du restaurant, a ouvert sa salle réservée aux séminaires et aux banquets à trois producteurs. « J’ai proposé à mes fournisseurs de venir s’installer ici, explique-t-elle. C’était important d’aider les gens avec lesquels je travaille d’habitude. »

Au restaurant pour faire son marché

Dans la salle attenante au restaurant, Pierre, William et Nelly ont organisé un circuit pour respecter gestes barrières et distanciation sociale. Pas plus de trois clients n’entrent à la fois, on commence par l’étal d’œufs de Pierre, puis les fromages de William et on contourne la table centrale pour parvenir à l’étal de fruits et légumes de Nelly. « Vendre ici nous permet de nous y retrouver financièrement, affirme Pierre Bouget, quatrième génération dans l’élevage et la vente d’œufs de plein air. Ça a rééquilibré les pertes qu’on a subies en début de confinement. » Nelly Hardouin multiplie les points de vente pour écouler sa production maraichère : « D’habitude on fait quatre marchés, là ce n’est que trois fois par semaine mais on s’en sort. »

Cabas de courses, masques, et un mètre de distance entre chacun, les clients patientent dans le calme devant le restaurant. « Avant, on mettait trente minutes pour faire le marché, maintenant on met une heure et demie, rient deux habituées. On doit aller à plusieurs endroits pour tout trouver, mais au moins on a des produits frais. » Fraîcheur et proximité, voilà ce qui séduit les consommateurs angevins. « Ce n’est pas le maraîcher bio habituel, reconnaît Nadine, retraitée angevine. Mais au moins, c’est local et c’est mieux que le supermarché. »

Aider les producteurs locaux

Les adeptes d’Adopte ton maraîcher sont pour la plupart des habitués des marchés angevins. « C’est top de pouvoir continuer à aider nos producteurs locaux », s’enthousiasme Cyrielle. La jeune femme assure rentrer dans ses frais : « Ce sont les mêmes prix qu’au marché, c’est parfois plus cher qu’au supermarché mais au moins on est sûrs de la qualité. » L’Angevine a changé ses habitudes. Désormais, elle ne s’approvisionne plus du marché La Fayette, mais place de la Gare, cinq cents mètres plus loin.

Place de la Gare, les pots de fleurs invitent les clients à patienter à distance de l’étal du fromager Antoine Thomas. Crédit photo Adélys Olivier

Jusqu’au 11 mai, le parvis de la gare Angers Saint-Laud est demeuré étrangement calme. Le parking-minute, d’ordinaire lieu d’un incessant ballet de voitures, désert. Seule présente, une file de taxis désœuvrés. L’animation avait pour une fois lieu en face, de l’autre côté du rond-point. Plusieurs jours par semaine, trois étals se sont installés à la place des terrasses de café fermées. D’énormes pots de fleurs, qui délimitaient jadis les terrasses des établissements, servent désormais de bornes entre les étals et indiquent les distances de sécurité à respecter.

Plus rentable que les livraisons

Les maraîchers de l’EARL Robin sont soulagés depuis la mise en place d’Adopte ton maraîcher. « Au début du confinement, on a essayé la livraison mais c’était compliqué, détaille une des vendeuses. On a découvert Adopte ton maraîcher sur Facebook et ils ont tout organisé, les autorisations et l’emplacement. » Leur voisin de stand, Antoine Thomas, est plus mitigé : « On vend moins que d’habitude, un seul jour dans la semaine au lieu de deux, c’est compliqué. » L’éleveur vient du département voisin, la Loire-Atlantique, pour vendre ses produits issus du lait de chèvre. « Une partie de la clientèle âgée ne vient plus », ajoute-il. Il estime avoir perdu 50 % de son chiffre d’affaires.

Face à la gare Saint-Laud, en reflet dans la vitre, les maraîchers Robin écoulent rapidement leur marchandise. Crédit photo Adélys Olivier

Malgré tout, la mairie d’Angers se félicite du succès d’Adopte ton maraîcher. « En 15 jours, la plateforme a reçu plus de 600 000 visiteurs », confie Stéphane Pabritz, adjoint en charge du commerce, à nos confrères d’Anjou agricole. Contactée, la mairie n’a pas souhaité s’exprimer davantage.

Franc succès pour les maraîchers

Au total, 85 producteurs ont été adoptés par les commerçants angevins. Et le concept a continué de séduire jusqu’au bout du confinement. Après six semaines d’arrêt total, Michel Cottereau ressort pour la première fois son étal de poissons, mercredi 6 mai : « J’ai découvert par hasard Adopte ton maraîcher et je peux redémarrer plein pot. » Michel a donné rendez-vous à ses clients quatre fois par semaine dans l’agglomération angevine. « J’ai envoyé quelques textos et ça a très bien fonctionné, s’étonne-t-il. Il y a du monde, on sent que ça manque aux gens. »

« Elles sont pas trop cuites, vos langoustines ? », lui demande Mme Kozine. Habitant place de la Visitation, une centaine de mètres plus loin, la retraitée résume la pensée des adeptes d’Adopte ton maraîcher : « C’est bien comme démarche, mais on a hâte que les marchés reprennent. » Lundi 11 mai, son souhait a été exaucé pour les petits marchés angevins. Pour les plus grands, comme celui de La Fayette, clients et producteurs reviendront sur les places du centre ville dès le 20 mai. L’initiative prend fin, mais la solidarité née entre les commerçants et les producteurs angevins devrait perdurer au-delà du déconfinement.

Related posts

En école de restauration, la pratique manque

Tiphaine LEPROUX

10 millions de litres de bière à la poubelle, les brasseurs sous pression

Carla LORIDAN

À Paris, les restaurateurs face au flou du déconfinement

Louis BOREL