Menu et/ou carte changeante toutes les semaines agrémenté parfois d’une offre spéciale weekend (ici un brunch), les chefs de restaurants bistronomiques redoublent d’inventivité. La Pantruchoise
Tenus de fermer depuis le début du confinement, les restaurants bistronomiques ont dû trouver une solution pour continuer de cuisiner : la vente à emporter. Un seul mot d’ordre : s’adapter pour permettre une continuité de service malgré l’absence de rentabilité du service.
À la carte cette semaine du côté de La Pantruchoise : volaille au riesling et à l’estragon asperges blanches. « Il fallait penser des plats généreux, les gens ont besoin de ça », explique Franck Baranger, chef de La Pantruchoise, un nom qui regroupe les quatre restaurants du IXe arrondissement de Paris tenus par lui et ses associés : le Pantruche, le Caillebotte, le Bellemaison et le Coucoucafé. Comme de nombreux autres restaurants, la Pantruchoise a décidé de rouvrir les cuisines avant la réouverture des salles. La recette : la vente à emporter et la livraison.
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« Il a fallu tout repenser, nos plats sont envoyés froids et une remise en température est prévue », précise le chef. Même principe du côté du Elmer dans le IIIe arrondissement : « Il faut proposer quelque chose d’intéressant. C’est plus logique de donner des plats à trois-quarts de cuisson pour que les clients puissent affiner la température chez eux », indique Sébastien Perrot, le sommelier. Julia Sedefdjian, cheffe étoilée du Baieta, dans le Ve arrondissement de Paris, est même plus directe : « L’idée n’est pas de faire de l’étoilé. On s’est tout de suite dit qu’il fallait adapter notre offre en faisant des plats sympas, avec du goût, à partager à l’apéro si l’on veut… »
Pour ce restaurant ayant décroché une étoile au Michelin en 2019, les plus grosses contraintes sont financières. L’entreprise est endettée et a dû s’adapter : « On ne passe plus par nos fournisseurs habituels, regrette Julia Sedefdjian, on a des petits producteurs sur des produits vraiment spécifiques où l’on peut payer comptant, mais sinon on se débrouille comme on peut. On va à Métro. J’ai une sorte de marché de producteurs proche de chez moi, je vais prendre des fruits et légumes là-bas. On se débrouille pour payer comptant. » Résultat : une carte avec des prix en baisse : « Le panier moyen est aux alentours de 30€. En salle, j’avais un menu à 45€, un autre à 65€ et un repas à la carte varié entre 60 et 70€. »
Du côté de La Pantruchoise ou du Elmer, l’approvisionnement s’est poursuivi chez les mêmes producteurs, et ce même si « les fréquences de livraison sont moins fréquentes », selon Franck Baranger. Pourtant, eux aussi ont choisi d’adapter leur prix : « Aujourd’hui un entrée-plat-dessert coûte 25€. En salle, le premier menu était à 38€ », explique-t-il. Le but : répondre à l’attente du client pendant ce confinement.
« Pour nous, ce n’est pas rentable »
Le chef de La Pantruchoise met d’ailleurs ce service aux clients en avant : « Assez rapidement, on a senti que les gens devaient travailler à la maison, s’occuper des enfants et en plus faire à manger. Il y avait alors un double combat : renouer avec les habitués, le quartier, mais aussi aider les producteurs et l’économie de la filiale. » Si Franck Baranger met en avant ces deux raisons, c’est aussi parce que les retombées économiques ne sont pas conséquentes.
L’Elmer, qui pratique la formule à emporter depuis plus longtemps, explique : « Ce n’est pas vraiment rentable car il n’y a pas la plus-value du restaurant : l’identité du chef, de la salle, etc… L’idée, c’est plus de faire de la survie, de maintenir l’entreprise à flots. » Même son de cloche du côté de Julia Sedefdjian : « On fait 20 à 25 commandes par jour contre 80 à 100 couverts en temps normal. C’est vraiment pour dire qu’on va payer le loyer. Le chiffre qu’on réalise sur une semaine, ce n’est même pas ce qu’on fait sur une journée en temps normal. »
Pour la cheffe du Baieta, l’aspect financier aussi n’est pas la seule source de motivation : « Il y avait l’envie de reprendre le contact avec les habitués, une vie sociale mais aussi la cuisine, toucher, sentir… » A laquelle s’ajoute le fait de vaincre l’ennui qui s’installait avec le déconfinement.
Le Baieta s’est lancé dans la vente à emporter il y a trois semaines, après une semaine de préparation et d’adaptation. Si le restaurant se limite à la vente à emporter, l’Elmer et la Pantruchoise ont fait le choix de miser également sur la livraison. Pour autant, pas question de passer par les grandes entreprises de livraison de repas à domicile. « Les trois premières semaines, nous avons livré nous-mêmes puis nous avons finalement trouvé un prestataire de service qui nous permet aujourd’hui de proposer une qualité de service. Quand on prend plaisir à proposer un plat de qualité aux clients, ce n’est pas pour qu’il soit massacré par quelqu’un qui n’en a que faire », explique Sébastien Perrot.
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« En temps normal, on n’a ni la place ni le temps »
Si aujourd’hui la livraison et la vente à emporter sont les seuls moyens de continuer l’activité, la réouverture des restaurants pourrait intervenir début juin. Néanmoins, Stéphane Perrot précise : « On n’a pas l’intention de servir des clients dans une atmosphère de moitié de restaurant. On est dans l’attente d’une réouverture globale. » Alors en attendant, « on va continuer le système de vente à emporter tant qu’on ne rouvre pas », indique Julia Sedefdjian. La cheffe étoilée estime même que la vente à emporter pourrait être un atout pour la suite : « C’est une idée qui faut garder dans un coin de la tête. On ne sait pas si on refera le même chiffre d’affaires à la réouverture. »
Du côté de La Pantruchoise, on estime également que cette nouvelle méthode de vente donne « une corde de plus » à leur arc. Néanmoins, Franck Baranger tempère : « En temps normal, on n’a ni le temps ni la place pour continuer cette activité. » Mais, à l’heure où l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie craint que 40% des restaurants ne rouvrent pas après cette crise, les chefs bistronomiques ayant décidé de faire de la vente à emporter ont tous trouvé une plus-value à cette activité. Pour Franck Baranger, c’est l’opportunité d’une identité commune à ces quatre restaurants sous le nom de La Pantruchoise. « On voulait créer cela entre les restaurants, c’était l’occasion de le faire. Cela nous apporte la force de la famille. »
Surtout, pendant cette période délicate pour les restaurateurs, les chefs ont pu compter sur la solidarité de leurs habitués et de leurs quartiers. « On ne pensait pas avoir autant de commandes, souligne Franck Baranger. Le premier jour, on a eu beaucoup d’habitués qui sont revenus. C’est un mouvement solidaire : ils ont voulu soutenir. » Ainsi, si les restaurants ont rouvert pour « donner du plaisir aux clients », ces derniers le leur ont bien rendu. « Au début, on visait notre quartier uniquement et on a fait une offre pour eux car on est proche de nos voisins », explique Julia Sedefdjian. « Ils nous ont bien aidés », conclut-elle.
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