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Injonctions à garder la ligne, la presse féminine s’attire les foudres des professionnels de la nutrition

Pour Laurence Duteil, nutritionniste, « sur la nutrition, la presse féminine n’a plus aucune crédibilité ». VGstockstudio / Shutterstock

Tout au long du confinement, l’ensemble de la presse féminine s’est distingué par le nombre d’articles incitant les femmes à rester belles et garder la ligne pendant que la pandémie de coronavirus faisait des milliers de victimes. Ces insistances révélatrices d’un sexisme prédominant au sein de la société française sont contredites par les nutritionnistes qui mettent en avant le bien-être au dépend du paraître.

« Sois belle ! Garde la ligne ! Travaille ! Eduque ! » Le collectif Acrimed (Action Critique Média) a publié lundi 4 mai un texte cinglant dénonçant les « injonctions assourdissantes » publiées dans la presse féminine tout au long du confinement. Parmi celles-ci, l’association dénonce les appels insistants à destination des femmes à ne pas prendre de poids.

Plusieurs titres comme Biba, Le Figaro Madame ou encore Elle et Femme Actuelle sont épinglés, accusés d’immission dans le quotidien. Ces injonctions à la minceur ont particulièrement fleuri au début de la période de confinement instauré le 17 mars. Acrimed pointe du doigt une intrusion de tous les instants, « à chaque heure de la journée » et dénonce « un siège fait à la vie des femmes ».

Des « conseils » impertinents

« Pendant le confinement, on a vu beaucoup de régimes farfelus sortir de terre. Parfois même, une alimentation basique et équilibrée est présentée comme le régime minceur ! », s’exclame Annaïck Konarch, diététicienne-nutritionniste.  Ces « conseils » pour garder la ligne sont légion. On retrouve les sempiternelles injonctions à boire de l’eau pour couper la faim et surtout, à éviter de grignoter. Pourtant, cette pratique n’est pas forcément à bannir de l’alimentation. « Des tas de gens grignotent chaque jour sans être obèse, explique Laurence Duteil, nutritionniste. Si on a une alimentation équilibrée et que l’on grignote un peu, il n’y a rien de grave. Pendant le confinement, c’est une pratique qui peut même contribuer à réduire le stress et l’anxiété. Sur la nutrition, la presse féminine n’a plus aucune crédibilité. »

Pour Laurence Turki, diététicienne-nutritionniste, il faut cependant différencier l’injonction du conseil. « C’est normal de mettre en garde contre une prise de poids trop importante. Il y a des tutos en ligne, comme sur le site de Decathlon, pour montrer comment les gens peuvent continuer l’activité physique tout en étant confiné. Ces démarches vont dans le bon sens. » Mais la presse féminine va plus loin. « Sous couvert de conseils, cette presse émet des injonctions systématiques au travers de l’iconographie et du rédactionnel », explique Claire Blandin, professeure d’Information et Communication à l’Université Paris 13 et spécialiste de la presse féminine.

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Un reflet du sexisme au sein de la société

Certains titres n’hésitent en effet pas à se servir d’une imagerie ouvertement sexiste. Dans un article intitulé « Confinement et régime: 10 conseils ultimes pour ne pas prendre un kilo par semaine », le mensuel Biba illustre son conseil « ne pas culpabiliser » avec la photo d’une otarie obèse, allongée sur ventre sur une plage. « Ça me choque profondément. Mais ça me choque tout autant que les photos de jeunes femmes en maillot de bain qui m’expliquent que je dois perdre mes deux kilos en trop avant l’été », souffle Laurence Duteil.

« En tant que nutritionniste, je me bats contre la culpabilisation de ces messages. Dans la presse féminine, comme dans la société, l’homme est fort alors que la femme est grosse. En réalité, il faut surtout se faire plaisir et s’écouter », préconise Laurence Turki. Pour Claire Blandin, ces messages sont avant tout le reflet de notre société. « Ces articles révèlent l’existence du sexisme dans la société, l’économie et les médias », explique-t-elle.

L’actualité du confinement et l’incertitude liée à l’alimentation lorsque celui-ci est entré en vigueur ont été autant de prétextes pour multiplier ces appels à la minceur. Le contexte de crise sanitaire a mis en lumière un phénomène qui existe depuis plusieurs décennies. « Les journalistes sont encore moins sortis que d’habitude, poursuit ironiquement Claire Blandin. Ça leur a permis de faire ressortir certains travers de leurs confrères. »

« En réalité, ce sexisme est consubstantiel à la presse féminine. L’objectif n’est pas de donner des conseils scientifiques mais de donner envie d’acheter un maillot de bain », détaille la professeure d’université. Car la presse féminine est abondamment financée par les annonceurs. Selon la nutritionniste Annaïck Ronarch, « ces magazines sont là pour vendre des pilules de perlimpinpin. Et avec 30% d’effet placebo, certaines pensent que ces remèdes fonctionnent. » Car l’industrie agroalimentaire finance abondamment ces titres. C’est même la première source des revenus annonceurs « devant les marques de vêtement, d’automobiles et de luxe, signale Claire Blandin. Ils ne peuvent pas taper sur Danone. »

Des injonctions inefficaces

Preuve que ces injonctions n’ont pas été suivies pendant le confinement, une étude menée par l’Ifop pour Darwin Nutrition fait état d’une prise de poids des Français 2,5 kilos en deux mois. Les femmes auraient en moyenne pris 2,3 kilos, contre 2,7 pour les hommes. Une différence qui ne s’explique pas par les pressions sociales selon Laurence Turki : « Statistiquement, une femme est moins lourde et moins grande qu’un homme. En proportion, 2,3kg et 2,7kg, c’est la même chose. »

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« Ce n’est absolument pas grave de prendre un peu de poids. C’est même normal lorsque l’on cesse toute activité physique, ajoute Annaïck Ronarch. Pendant les vacances, certaines personnes prennent autant de poids en deux semaines. Donc pas d’inquiétude, ce sont des kilos qui partiront naturellement avec le retour de l’exercice physique », conclut-elle.  

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