Pour le président de Madagascar, le Covid-organics, tisane à base d’Artemesia annua, est un remède contre le Covid-19. Compte officiel de la Présidence de la République Malgache.
Le Covid-organics ou CVO a été lancé le 20 avril dernier par le président de la République malgache, Andry Rajoelina. Présenté comme un remède au Covid-19, son utilisation fait débat à Madagascar.
Samedi 30 avril, une foule s’agglutine sur un terrain vague du quartier Ankorondrano, au nord d’Antananarivo, la capitale malgache. Mégaphone en main, des militaires tentent de faire régner l’ordre. Des centaines de personnes se mettent en rang, amassées, faisant fi de la distanciation sociale et des gestes barrières. Dans leurs mains, des bouteilles d’eau, de Coca-Cola ou d’huile. Toutes sont vides et usées. Enfants et personnes âgées attendent patiemment leur tour.
Car au bout de la file s’organise une distribution. Sous une tonnelle blanche, des hommes en armes s’affairent. Certains portent une combinaison blanche, des masques et des gants, d’autres sont habillés d’une plus traditionnelle tenue camouflage. Au milieu de la table trône une cuve de 250 litres de Covid-organics ou CVO. Cette boisson, à base d’Artemesia annua et de différentes plantes endémiques comme la ravintsara, a été lancée en grande pompe par le président de la République de Madagascar Andry Rajoelina, bouteille en main, le 20 avril dernier.
Le CVO, une boisson malgache contre le Covid-19
Le CVO, développé par l’Institut Malgache de Recherche Appliquées (IMRA) se décline en boisson à consommer ou en sachet à infuser. Dans les deux cas, il s’agit d’une tisane dont le principe actif est l’artemisinine, extrait de l’Artemesia annua, « une plante médicinale » utilisée dans la lutte contre le paludisme. « Notre entreprise fournit directement l’IMRA et le gouvernement en Artémésia, mais il y a d’autres extraits de plantes » explique Charles Giblain, directeur de la société Bionexx. La composition exacte, absente sur les étiquettes, reste secrète. Mais le président malgache le martèle lors de la conférence de presse de lancement le 20 avril, en préventif ou en curatif, la tisane soigne le Covid-19 : « Tous les essais et tests ont été menés et son efficacité dans la réduction de l’élimination des symptômes a été prouvée pour le traitement des patients atteints du Covid-19 ».
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère l’Artemesia annua comme un traitement possible du Covid-19, mais appelle à des essais cliniques et « met en garde les pays contre l’adoption de produits n’ayant pas fait l’objet d’essais cliniques rigoureux afin de garantir leur sécurité et leur efficacité contre le Covid-19 ». Mais Andry Rajoelina le clame haut et fort au micro de France24: « Si c’était un pays européen qui avait découvert ce remède, est-ce qu’il y aurait autant de doutes ? Je ne pense pas. Le problème, c’est que cela vient d’Afrique. »
Le CVO, entre engouement et méfiance
Dans les rues de la capitale, le produit fait débat et divise. Certains le défendent bec et ongles à l’image de Domohina, étudiante, qui partage son enthousiasme via WhatsApp : « Je suis fière que ça vienne de mon pays. » Elle ajoute, sourire malicieux aux lèvres : « J’en ai à la maison et je vais sûrement organiser une petit fiesta rhum arrangé CVO ».
D’autres ne veulent pas en entendre parler : « J’en ai pris pendant une journée, c’est simple, je n’ai jamais eu autant mal au ventre », confie au téléphone Maimpianina, comptable dans une confiserie. Meva, employée d’une compagnie d’assurance, résume bien une situation devenue politique : « Pour ma part, je reste dubitative, la composition exacte n’est même pas affichée. Mais on a confiance dans nos chercheurs de l’IMRA, ce sont de bons scientifiques. Le problème vient du président, il a décrédibilisé le produit en assurant sa promotion et sa communication. »
Promotion ou non, on dresse le même constat à chaque distribution dans les quartiers populaires : cohue et file d’attente. Alors véritable engouement pour le CVO? « Pas certain », tempère Gaëlle Borgia, correspondante de France24 et récente lauréate du prix Pulitzer, « Madagascar est très pauvre, alors quand on offre quelque chose, et encore plus un “remède” approuvé par le Président, c’est forcément la cohue. »
Un produit disponible dans certaines régions de Madagascar
À Antananarivo, qui compte 2,2 millions d’habitants, le produit se vend partout, des petites échoppes de rues au supermarché, en passant par les stations essences. Contactée, la chaîne de supermarché Jumbo n’a pas souhaité communiquer ses chiffres de ventes mais a indiqué : « Le CVO se vend très bien jusqu’à présent. » En revanche, il est plus difficile de s’en procurer dans le reste du pays.

C’est notamment le cas sur l’île de Nosy Be, petit paradis touristique situé au nord-ouest de Madagascar. Arthur Besse, expatrié à Madagascar depuis onze ans, a dû se faire livrer par colis pour suivre sa cure de CVO recommandée par l’IMRA : deux bouteilles de 33 cl par jour pendant une semaine. « Un goût d’agrumes, un peu amer mais pas désagréable. J’ai même trouvé ça bon et je regrette qu’il n’y ait pas d’autres gammes », décrit-il. Des effets secondaires et maux de ventre? « Non, aucun! » assure-t-il. Et s’il affirme ne pas avoir d’idée arrêtée sur les vertus thérapeutiques de la boisson, il salue l’initiative de l’IMRA et de l’Etat malgache : « Dans tous les cas, il n’y a pas de solutions et quand bien même il y en aurait une, on serait les derniers à Madagascar, cinquième pays le plus pauvre du monde, à y avoir accès. »
« Je prescris des médicaments, mais parfois je l’accompagne de Tambavy »
Selon Arthur Besse, le Covid-organics n’est qu’un packaging, une jolie bouteille, car les Tambavy (tisanes) font partie intégrante de la médecine locale, tournée vers les « herbes médicinales ». Une position appuyée par une médecin exerçant à Antananarivo : « Bien sûr, je prescris des médicaments, mais parfois je l’accompagne de Tambavy, ça élimine les toxines et fait baisser la fièvre. J’en consomme moi-même régulièrement. »
Selon ce même médecin, il est normal que la population se tourne vers une médecine locale pour lutter contre le coronavirus. Car à Madagascar, l’accès au soin est parfois compliqué. L’ONG Action Madagascar décompte 1 médecin pour 11 500 habitants en zone urbaine. En zone rurale, le chiffre tombe à 1 pour 35 000. Jusqu’à présent, celle qu’on surnomme l’Ile rouge semble relativement épargnée par l’épidémie avec 304 cas de Covid-19 confirmés pour un seul décès ce dimanche 17 mai.