Près de 75% des brasseries déclarent être très préoccupées par leur niveau de trésorerie, selon le syndicat Brasseurs de France. (@spooky_kid / Pixabay)
Dix millions de litres de bière, restés intacts depuis le 17 mars, sont désormais imbuvables. Le syndicat Brasseurs de France appelle à une aide européenne pour la destruction de ces fûts.
Bars fermés, festivals annulés… C’est un constat amer auquel doivent faire face les brasseurs français depuis le début du confinement. Un déficit économique qui était jusqu’à présent l’une de leurs principales sources d’inquiétude. Mais, début mai, un nouveau tsunami est venu secouer le monde de la boisson houblonnée : la péremption de stocks de bière.
Mardi 5 mai, le syndicat Brasseurs de France a recensé les pertes de marchandises, suite à la crise sanitaire, auprès de ses 300 adhérents (qui représentent 98% du marché français). Résultat, c’est plus de 10 millions de litres de bière périmée qui vont être détruits. Ces fûts devaient normalement être livrés aux restaurants et bars début mars. Certains sont arrivés à destination, mais sont restés intacts dans les établissements dès l’annonce du confinement. D’autres attendent encore, stockés dans les entrepôts de livraison.
Pourquoi cette bière n’est-elle plus consommable ? Contrairement à une bière blonde classique, la marchandise concernée est composée de bières non pasteurisées et donc plus fragiles. « Il s’agit de fûts de 20/30 litres de bière très riche en houblon comme les IPA (Indian Pale Ale), qui se conservent difficilement au-delà de trois mois. Sinon, elles perdent leurs saveurs et leurs arômes », explique Jacqueline Lariven, responsable communication de Brasseurs de France.
Un impact économique considérable
Si ces 10 millions de litres semblent peu, comparés aux 22,5 millions d’hectolitres produits en 2020 en France, cela représente néanmoins plusieurs millions d’euros de pertes financières pour les brasseurs. Une addition salée qui vient s’ajouter aux autres impacts du confinement : les brasseries sont à l’arrêt total et plus de la moitié (70 %) déclarent plus de 50 % de pertes de chiffre d’affaires (source Brasseurs de France). Près d’une brasserie sur deux a bénéficié d’un prêt de l’État ainsi que d’un fonds de solidarité. Mais cette aide est jugée insuffisante par les 60 % des brasseurs qui ont démarré leur activité il y a moins de trois ans. Ces derniers avaient investi lourdement pour lancer leur entreprise. Un endettement déjà présent avant la crise et qui n’a fait qu’empirer depuis.
Pour compenser ce manque à gagner, certaines brasseries ont dû trouver des astuces. C’est le cas de La Mousse Touch’, à Lille (59). Si cette micro-brasserie/bar n’est pas fortement impactée par la perte de bières, elle a néanmoins pris l’initiative de venir en aide aux plus grosses brasseries locales qui n’ont pas d’autres points de vente que les bars et restaurants. Pour ce faire, elle propose à ses clients un pack de 8 bières issues de brasseries des Hauts-de-France (Brasserie du Pavé, Brasserie du Célestin… ). « Leur chiffre d’affaires avait baissé d’environ 70 % pendant le confinement. Avec cette idée, on eu plus de 500 commandes en quatre semaines. Les gens ont privilégié la découverte de bières locales plutôt que celles vendues dans les supermarchés », assure La Mousse Touch’.
« Qu’est ce qu’on va bien pouvoir faire de toute cette bière ? »
Pour le moment, Brasseurs de France ne sait pas comment se débarrasser de tous ces fûts. « Quand on a appris la nouvelle, notre première réaction a été ‘mais qu’est ce qu’on va bien pouvoir faire de toute cette bière ?’ », poursuit Jacqueline Lariven. Dans un premier temps, le syndicat envisage de collecter tous les fûts périmés pour ensuite les détruire. Or pour cela, « il faudrait que l’on ait une perspective de réouverture des bars et restaurants. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. » La destruction en elle-même a un coût. Les brasseurs envisagent de se tourner vers la Commission européenne pour obtenir une aide financière, comme l’a fait la filière viticole avant eux.
De leur côté, les commerçants s’organisent pour limiter les pertes. C’est le cas de la Brasserie Cambier, à Croix (59), ou du commerçant Jean Bouteille (59), spécialiste de la vente en vrac. Ils proposent à l’aide d’un « growler » (récipient qui permet de transporter de la bière pression) de récupérer la bière en fûts pour la mettre en bouteille consignée et la vendre aux particuliers. Un moyen d’éviter le gaspillage et, pour les clients, de se faire plaisir en attendant la réouverture des bars.