« Il n’y a pas meilleur ambassadeur que le vin pour témoigner de l’histoire et de la culture de ma terre. » Marilena Barbera. Photo : Shelly Steinhaus
Dans le sud-ouest de la Sicile, Marilena Barbera tient une exploitation viticole. Confrontée aux conséquences dramatiques de la crise du coronavirus sur son activité, elle a décidé de lancer un mouvement pour défendre une profession à laquelle elle est viscéralement attachée.
Elle tient la bouteille de vin aussi fermement qu’on empoigne un étendard. Son identité se décline en lettres blanches sur le noir profond du verre : « Marilena Barbera (vigneronne indépendante) ». Établie à Menfi, dans la province sicilienne d’Agrigente, Marilena affiche avec fierté sa profession sur internet et les réseaux sociaux. Pour vendre son vin, habituellement, et porter ses combats, actuellement.
« En ce moment, je passe mes journées à faire de la politique », rit-elle. Pour soutenir sa profession contre les dégâts que lui inflige la crise du coronavirus, Marilena a dû troquer son sécateur pour un clavier d’ordinateur. Elle a écrit une lettre ouverte au gouvernement italien, signée par près de 500 vignerons à travers la péninsule, et créé un hashtag : #ilvinononsiferma : le vin ne s’arrête jamais. « Même si l’économie s’est interrompue, les vignes continuent de pousser et nous avons continué à les cultiver », explique Marilena.
Comme beaucoup de vignerons de la péninsule, Marilena subit de plein fouet les effets de la crise. Et comme la majorité des petits producteurs, elle ne vend pas à la grande distribution à cause de la faiblesse des marges. La fermeture des bars et des restaurants, en Italie comme à l’étranger, a donc un impact majeur sur son activité. « Sur les deux derniers mois, j’ai perdu quasiment l’intégralité de mon chiffre d’affaires », estime-t-elle. « Mais le gouvernement italien ne fait rien pour nous aider. Il enchaîne les conférences de presse et dépeint une situation idéale. »
La lutte contre la distillation
La mère de toutes les batailles pour Marilena, c’est la lutte contre la distillation. Car les coopératives viticoles italiennes, à l’instar de leurs voisines françaises et espagnoles, ont demandé à l’Union européenne l’ouverture d’une distillerie de crise de 10 millions d’hectolitres, dotée d’un budget exceptionnel de 350 millions d’euros. L’idée serait de distiller une partie de la production viticole afin de la transformer en éthanol, destiné à la fabrication de gels hydroalcooliques. Une aubaine pour les grandes exploitations viticoles qui ont de faibles coûts de production. Une hérésie pour Marilena : « Pourquoi ne pas verser cet argent aux petits producteurs pour les aider à augmenter leurs capacités de stockage ? »
A lire aussi : Distilleries et pharmacies: élan de solidarité, mais à quel prix ?
Le problème revêt également pour elle une dimension symbolique : « La question fondamentale est de savoir quelle valeur on accorde à notre travail. Le vin constitue une part primordiale de la culture italienne. Le distiller revient à détruire cette réputation et cette valeur culturelle. »
Mais les motifs de sa colère sont plus profonds. Ancrés en elle comme le Nero d’Avola dans la terre sicilienne. « Dans ma famille, on travaille la vigne depuis les années 1920. C’est mon arrière-grand-père qui a acheté cette propriété et c’est mon père qui gérait l’exploitation. Il est mort il y a une dizaine d’années et à présent, ma mère et moi menons à bien son projet et faisons en sorte de réaliser son rêve. Il est hors de question que je le regarde s’effondrer. »
Ses quinze hectares d’exploitation portent la marque des différentes générations de vignerons qui l’ont façonnée et qui y ont ajouté leurs cépages. « Il y a l’Inzolia que mon grand père a planté et qui se conjugue si bien au sel marin qu’on ne croirait pas possible d’en trouver ailleurs. Puis mon père, dans une sorte de sursaut de modernité, a planté Chardonnay, Petit Verdot, Merlot et Cabernet Sauvignon. Et enfin, il y a mes cépages : Catanese, Alicante, Nero d’Avola, Perricone, Grillo et Catarratto.» Ses vins, blancs et rouges, sont fabriqués grâce au procédé de la vinification naturelle et ont obtenu la certification biologique en 2016.
Un attachement viscéral à la Sicile
L’attachement de Marilena à sa région et à son métier est viscéral. Après des études en sciences politiques à l’université de Florence et un début de carrière comme commerciale, elle retourne en Sicile travailler dans l’exploitation familiale. « Tout me manquait en Sicile : la mer si bleue, les falaises et les roselières, les dunes de sable doré couvertes de lys sauvages, le soleil éblouissant, les vignes à perte de vue, les oliviers centenaires et les champs d’artichauts. »
« Au début, je m’occupais des ventes et du marketing. Puis après la mort de mon père, j’ai commencé à suivre de près la production de vin. » Celle qui rêvait d’une carrière diplomatique dit ne rien regretter de ses choix : « Même mon rapport aux autres a changé depuis que je fais ce métier. Il est plus authentique. »
Pour la suite, Marilena espère que son exploitation se remettra de cette crise. La réouverture des bars et restaurants italiens le 18 mai dernier est une première étape. En attendant une reprise des exportations.