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Pour les producteurs d’huîtres, la note est salée

Malgré la crise sanitaire, les ostréiculteurs doivent continuer à entretenir leurs exploitations. Faute de quoi, ils n’auront pas assez d’huîtres à vendre dans quelques années. Didier Aires (Pixabay)

Avec la crise du coronavirus et le confinement, la vente d’huîtres a drastiquement chuté. Une situation difficile à tenir pour les éleveurs, qui ne peuvent se permettre de faire tourner leur exploitation au ralenti pour s’adapter à la baisse de la demande.

« On doit continuer à travailler, mais en retour on a zéro vente. C’est la double peine », s’inquiète Alban Lenoir. Ce conchyliculteur normand est, avec son père, à la tête de quatre sites d’exploitation d’huîtres, de moules, de coques et de palourdes, dans les îles Chausey, à Blainville-sur-Mer, à Bricqueville-sur-Mer ainsi que dans le bassin d’Arcachon. La crise sanitaire a durement touché son activité : en mars, il a réalisé 10 % des ventes de l’année précédente, et en avril encore moins. Mais face à la demande qui s’effondre, l’éleveur n’a pas la possibilité de réduire son activité.

« On doit continuer à mettre des bébés huîtres dans les parcs, explique-t-il. Sinon, c’est dans trois ans qu’on verra les répercussions ! » Trois ans, c’est la durée que prend une huître pour arriver à la taille idéale à la vente. Alors, impossible pour Alban Lenoir de mettre ses huit salariés au chômage partiel. Il ne peut donc compter sur aucune baisse de ses dépenses mensuelles : 50 000 euros pour l’entretien des parcs de coquillages, des salaires au matériel, sans compter le remboursement des emprunts bancaires. Résultat, les quelques mois d’avance de trésorerie ont vite disparu.

Les huîtres grossissent, les prix baissent

Une situation qui touche l’ensemble des producteurs, selon Florence Bourhis-Madec, secrétaire du Syndicat national des employeurs de la conchyliculture (SNEC) : « Le travail était tout de même à faire. Les mesures de chômage partiel n’ont concerné que deux catégories de personnes : les salariés devant garder leurs enfants, et ceux qui ont fait valoir leur droit de retrait. » Les producteurs ont tout de même pu bénéficier du prêt garanti par l’État, à l’instar d’Alban Lenoir, qui a contracté un emprunt de 300 000 €. Mais l’éleveur ne se fait pas d’illusions : « Ce qu’on n’a pas vendu ne sera pas rattrapé plus tard. On ne pourra pas rembourser le prêt l’année prochaine. »

Pendant le confinement, Huîtres Charente-Maritime a lancé une campagne de communication sur Instagram. Pour soutenir les producteurs charentais en difficulté, elle invite les consommateurs à acheter des huîtres. 

En effet, pour Alban Lenoir, qui vend essentiellement aux poissonneries et aux restaurants, la période d’avril-mai, avec Pâques et les ponts de mai, constitue d’ordinaire 20 % de son chiffre d’affaires annuel. Il peut stocker ces huîtres qu’il n’a pas vendues, mais pas sans pertes. « Ce qu’on stocke grossit, et plus les huîtres sont grosses, plus elles perdent de la valeur », explique le producteur. Comme tous ses confrères ont stocké leurs huîtres pendant plusieurs mois et vont être forcés de vendre, une chute du cours de l’huître est à craindre. La baisse a déjà débuté« On va devoir vendre quasiment à perte, ou stocker et avoir de la mortalité et des huîtres qui perdent de la valeur », résume l’éleveur normand.

Le coronavirus, la crise de trop pour la filière

Les conchyliculteurs les plus touchés sont ceux qui ont développé leur activité à l’export : avec la fermeture des frontières, les exportations sont aujourd’hui quasi-inexistantes. Ceux qui font de l’expédition sur le territoire national, à destination de la restauration et de la grande distribution, ont également été durement touchés. Thierry Hélie, président du Comité régional de la conchyliculture sur le secteur Normandie-Mer du Nord, déclarait fin avril à Ouest-France que sur les 350 entreprises normandes, environ 80 % n’avaient plus d’expéditions nationales à effectuer. Une perte totale difficile à évaluer, pour une filière qui représente 774 millions d’euros de chiffre d’affaires par an au niveau national, d’après le Comité national de la conchyliculture  –  630 millions pour les huîtres seules.

Autre initiative, Ostréiculteurs solidaires incite les consommateurs à acheter des huîtres. Une partie du prix est reversé à la recherche contre le coronavirus. 

D’autant que la crise du coronavirus n’est que le dernier épisode d’une série d’événements venus affaiblir la filière ostréicole depuis deux ans. Le 20 avril, Syconord, le Syndicat des conchyliculteurs de Normandie-Mer du Nord, publiait une lettre ouverte pour tirer la sonnette d’alarme : « Depuis deux ans, les ventes d’huîtres de fin d’année ont été impactées par les mouvements sociaux et les gilets jaunes. » À cela s’ajoutait déjà l’épidémie de norovirus qui a touché cet hiver une partie des productions. Pour le Syconord, « sans aide adaptée à nos spécificités, de très nombreuses entreprises ostréicoles sont vouées à disparaître. » L’ensemble de la profession réclame ainsi que le report des charges proposé par le gouvernement soit transformé en une annulation pure et simple. 

L’annonce faite le 14 mai par Edouard Philippe qu’il serait possible de partir en vacances en France cet été pourrait être bon signe pour la filière. Toutefois, il est encore trop tôt pour se réjouir, selon Florence Bourhis-Madec : « On ne sait pas encore si les gens vont vraiment voyager. Mais s’ils viennent sur le littoral, on peut espérer qu’ils consomment des coquillages. » Et ce, même si les mois d’été ne sont pas des mois comportant un « r » dans leur nom, les seuls qui selon la croyance populaire seraient propres à la consommation d’huîtres. Car rappelons-le, les huîtres peuvent être savourées tout au long de l’année !

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