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Europe: le Pacte vert a-t-il un sens sans une refonte en profondeur de la PAC?

Selon un rapport du GIEC de 2019, l’agriculture est responsable (avec la sylvicultre et d’autres types d’utilisation des terres) de 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Erich Westendarp pour Pixabay

La Commission européenne a dévoilé, mercredi 20 mai, deux stratégies de son « pacte vert », qui concernent de près l’agriculture. Ces projets paraissent ambitieux mais sont-ils cohérents avec la réforme de la Politique agricole commune (PAC) actuellement débattue ?

Avec son Pacte vert, l’Europe veut devenir le « premier continent neutre pour le climat ». Mercredi 20 mai, la Commission européenne en présentait les deux derniers volets, « from farm to fork » (de la ferme à la fourchette) –développer une alimentation plus juste, saine et durable– et la protection la biodiversité. La Commission affiche des objectifs chiffrés pour 2030  : 30 % de terres protégées, aucune espèce ou habitat protégés dont l’état ne s’aggrave, usage de pesticides et d’antibiotiques réduits de moitié, un quart de la surface cultivée en agriculture biologique. « Le green deal a fixé des objectifs assez élevés », reconnaît Matthieu Courgeau, président de la plateforme d’associations Pour une autre PAC.

« Le seul moyen d’atteindre ces objectifs, c’est la PAC. il va falloir qu’elle soit plus ambitieuse pour y parvenir », alerte ce paysan vendéen, par ailleurs membre de la Confédération paysanne. « Ces objectifs ne seront possibles que si on opère enfin une profonde réforme de la Politique agricole commune », réagissait dans un communiqué Eric Andrieu, eurodéputé socialiste. 

Retards accumulés

Etablie pour sept ans –comme le budget de l’Union européenne–, la PAC 2013-2020 s’achève justement cette année. Mais la réforme de la PAC pour le septennat suivant accuse beaucoup de retard. Négociée sous la mandature précédente et votée en commission Agriculture, le passage de témoin avec les nouveaux eurodéputés a pris du temps.

Les textes discutés depuis juin 2018 sont finalement conservés, mais de nombreux articles ont été sélectionnés pour être réétudiés : accord sur les points de convergence et les articles à rouvrir, participation de la commission Environnement en plus de la commission Agriculture, mise en place de « rapporteurs fictifs »… Tout ce processus de renégociation prend du temps. L’entrée en vigueur de la nouvelle PAC a donc été reportée.

Maintien d’un système de répartition injuste

A ce stade, la réforme ne prévoit pas de remettre à plat le système de répartitions des aides de la PAC. C’est pourtant l’un des points les plus souvent critiqués, qui font de cette politique communautaire une manne financière très contestable d’un point de vue environnemental. L’argent des contribuables européens abonde une agriculture majoritairement intensive, dont on connaît les effets délétères sur le climat, la biodiversité et le bien-être animal.

Évolution du nombre d’exploitations et de la superficie agricole utilisée dans l’UE
Source : Eurostat

La PAC se divise en deux piliers. Le premier –le plus important– concentre les aides versées aux agriculteurs et le second concerne le développement rural. Le système de répartition du premier pilier favorise l’agriculture intensive : le montant des aides est fixé selon la surface agricole, donc plus elle est grande, plus elle est financée par l’Union européenne. Selon Greenpeace, sur les 50 milliards de subventions, un tiers est capté par 1 % des plus grandes exploitations. Cette répartition incite l’extension et la concentration des domaines agricoles au détriment des plus petits productions. Ainsi, entre 2003 et 2013, selon Eurostat, une exploitation sur quatre a disparu dans l’Union européenne, alors que la surface cultivée demeure stable.

« On est encore à un stade suffisamment précoce pour faire bouger les lignes », estime Mathieu Courgeau. Pour une distribution plus juste, l’association aimerait obtenir l’attribution d’aides dès les premiers hectares, ainsi que leur plafonnement.

« Verdissement » en demi-teinte

La réforme négociée depuis juin 2018 comprend toutefois des changements importants. Notamment concernant la place plus importante réservée à la politique nationale. Les Etats membres devront décliner la PAC dans une stratégie nationale que devra valider la Commission. La réforme prévoit aussi un « verdissement » d’une partie des aides. Mais pour Mathieu Courgeau, le compte n’y est pas. Surtout s’il faut atteindre l’objectif de 25 % d’agriculture biologique en 2030. « On est assez inquiets car le budget du deuxième pilier de la PAC est amputé », explique-t-il. Or, c’est ce deuxième pilier qui soutient l’agriculture biologique européenne. 

En contrepartie, le premier pilier de la PAC se dote d’un nouvel outil, appelé « éco-régime ». Cependant, rien ne garantit qu’il répondra à des normes environnementales exigeantes, ni qu’il occupera une place centrale dans le budget. « C’est un outil qui reste à construire, mais les échos que nous avons ne sont pas positifs », déplore Mathieu Courgeau. Le collectif s’inquiète de la place qui lui sera réservée dans le budget et souhaiterait que 40 % du premier pilier finance l’éco-régime. Il craint également que les normes environnementales de ces aides vertes soient insuffisantes. Les discussions pourraient par exemple contenter la FNSEA qui souhaiterait, selon Mathieu Courgeau, que ces aides portent sur l’agriculture de « haute valeur environnementale » (HVE), une certification que le collectif ne juge « pas assez exigeante ».  

Pas touche à la viande

Autre point mort de la réforme, la question de l’élevage. La stratégie « from farm to fork » reconnaît officiellement les dégâts climatiques, environnementaux et sanitaires de la surconsommation de viande. Selon un rapport de la FAO datant de 2013, l’élevage engendre 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

La réduction de la consommation et de la production de viande et de produits laitiers constitue une des marges de manœuvre pour décarboner l’agriculture. Une étude néerlandaise démontre même qu’une réduction de moitié de la consommation de produits d’origine animale réduirait d’environ 40 % les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture européenne.

Là aussi, constater le problème ne suffit pas pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. La réforme de la PAC n’intègre pas, pour le moment, de politique de réduction de la consommation des aliments issus de l’élevage intensif.

Tenir le calendrier

La Commission assure dans un rapport la compatibilité entre ses ambitions et la réforme. Dans ses conclusions, elle mise sur les stratégies nationales des Etats membres pour mettre en œuvre sa politique. Mais selon le site Contexte, les négociations sur la déclinaison nationale de la PAC « patinent », en partie à cause du Covid-19. Les retards accumulés depuis le début ont contraint les députés à adopter un règlement de transition le 28 avril, lequel a prorogé les règles de la PAC actuelle.

Le temps presse pour répondre à l’objectif de neutralité carbone fixé à 2050 et appliquer les deux nouvelles feuilles de route du Pacte vert d’ici à 2030. La nouvelle PAC n’entrera pas en vigueur avant 2023. Les négociations avec les Etats membres sur leur stratégie nationale et la réouverture de certains articles sont l’occasion d’infléchir la réforme vers un système plus juste et écologique. Mais à ce stade, la réforme se contente de petits pas, sans opérer de changement radical. La Commission européenne n’a pourtant plus qu’une décennie pour respecter les objectifs qu’elle s’est fixés.

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